What is cricket ?

Une journée au Lord’s

What is cricket ?

Avec le printemps reprend la saison du cricket, sport mystérieux qui prend son temps. C’est un mystère que nous avions décidé de percer depuis notre installation à Londres non loin du Lord’s Cricket Ground et depuis que nous avions découvert que l’un de nos amis, anglophile et so old England, était un joueur assidu dès le retour de la belle saison.

De déconvenues en déconvenues

A la recherche des règles

Commencer la journée, très tôt pour un samedi matin, par une visite guidée des lieux en espérant en ressortir avec clés pour comprendre le jeu… et n’en avoir aucune. Insister en interrogeant les guides et les gardiens de salle, tous passionnés et ravis de partager leurs connaissances, sur les bases du jeu et constater que chacun évite de le faire en racontant une anecdote. Découvrir un petit fascicule gratuit « the game and its origins » à l’entrée d’un des pavillons visités, le prendre et réaliser qu’il parle du jeu de paume, « the real tennis » puisque le Lord’s abrite également un terrain de tennis / squash.

Finir la visite à la boutique en espérant trouver un livre pour enfant expliquant ce jeu mystérieux et ne trouver qu’un petit recueil officiel de 150 pages. Petit mais costaud ! Tant pis, le match commence dans 5 minutes, lançons-nous sans explications initiales et faisons confiance au temps -à vrai dire, nous avons la journée complète-, à nos voisins anglais -toujours si heureux de discuter- et à notre intelligence -que l’on espère vive- pour décrypter ce mystère.

A la recherche d’un décodeur

A première vue, nous prenons peur. Nous assistons à la 3ème journée de match, le tableau d’affichage est complexe et affiche dès le début de la journée des chiffres et des lettres que nous ne comprenons pas… que nous ne comprenons vraiment pas du tout ! Qui plus est, nous découvrons avec stupeur que les joueurs sont tous vêtus de blanc et que la plupart d’entre eux porte un pull qui cache leur identification. Comment peut-on les reconnaitre ? Autre surprise, il n’y a que 15 personnes sur le terrain alors que les équipes se composent de 11 joueurs…

A la recherche de la meilleure place

Il faut dire qu’il fait assez froid. Hier soir, un ami anglais nous avait prévenu : « go properly dressed ! », mais nous avions pensé que sa sympathique mise en garde visait encore un dress code. Nous changeons donc de place pour nous mettre à l’abri de la pluie verglassée qui tombe en courtes averses ce matin, puis à nouveau pour trouver la chaleur du soleil, puis encore pour nous protéger du vent et retrouver le soleil qui a tourné.
Tous ces changements sont l’occasion de découvrir que se mettre sur le côté permet de mieux voir les gestes des joueurs et, accessoirement, de les voir de plus près. Se placer dans les virages n’est pas la garantie d’une meilleure ambiance comme au foot, mais celle de rejoindre plus rapidement la buvette qui est chauffée et protégée de la pluie et où la bière coule à profusion. Finalement, se mettre à l’arrière, face au pavillon du club et sous le centre média, permet de voir le mouvement de la balle et de mieux comprendre la stratégie des joueurs sur le terrain.
Comment n’avions-nous pas pensé dès le départ que les membres du club et les journalistes occupent les meilleures places ?! C’est là aussi que nous retrouvons les fidèles supporters, ceux qui viennent avec un chapeau agrémenté de grosses roses rouges, l’emblème du Middlesex, l’équipe en résidence au Lord’s, ceux qui remplissent consciencieusement une grande grille avec les résultats et leurs observations, ceux qui viennent avec une vieille couverture écossaise et des sandwiches maison qui tiennent dans un grand sac plastique plutôt que dans un hamper du plus grand chic.

Et finalement, se rendre compte progressivement que les règles de base ne sont pas si obtuses.

Tentons une explication :

Middlesex vs. Lacashire, 3ème journée

Aujourd’hui, le match se déroule en 4 manches sur 4 à 5 jours ; c’est Middlesex vs. Lancashire. Sur le terrain, les 2 arbitres se reconnaissent grâce à leurs chapeaux blancs. Détail amusant, ils portent aussi les pulls des joueurs dans leur dos lorsque ceux-ci les retirent pour jouer un rôle plus actif sur le terrain. Il y a aussi 2 joueurs équipés d’un casque, de protège-jambes et d’une batte aplatie en bois. Ils restent au milieu du terrain dans un espace sablonneux dénommé le pitch tandis que leurs co-équipiers sont bien au chaud en dehors du terrain.

Autours de ces 4 personnes, les 11 joueurs de l’équipe adverse sont répartis d’une façon qui paraît peu calculée à première vue. L’un d’eux est également équipé de protections et de gants, c’est le receveur. Parmi les 10 autres, 2 ont retiré leur pull pour lancer la balle et 8 semblent attendre tranquillement, se payant même le luxe de garder leurs mains dans les poches de leur pantalon, voire pour ceux qui sont le plus près des tribunes de discuter avec des spectateurs et de signer des autographes.

Les bases

6 fois consécutives (un « over »), en alternance l’un avec l’autre, les lanceurs lancent la balle en direction du « wicket ». Leur objectif est de le toucher après un rebond au sol de la balle.
L’un des deux batteurs de l’équipe adverse, situé à l’opposé du lanceur et juste devant le wicket, a lui pour objectif de taper la balle pour l’éloigner le plus possible du wicket et marquer un maximum de points.

S’il la sort du terrain sans qu’elle touche le sol, il obtient 6 runs et marque 6 points. Si la balle sort du terrain après un rebond dans le terrain, il obtient 4 runs et marque autant de points. Sinon, il échange de place en courant avec l’autre batteur (un « run »), autant de fois que possible, jusqu’à ce que l’équipe du terrain (les « fielders ») récupère la balle. Il marque alors autant de points qu’il a fait de runs (i.e. de courses vers le wicket opposé).

Mais pourquoi ?

Là où cela se complique, c’est que l’objectif de l’équipe des lanceurs est d’éliminer les batteurs les uns après les autres et le plus vite possible pour éviter qu’ils ne marquent des points. Pour cela, ils ont au moins trois possibilités. La plus directe est de toucher le wicket avec la balle sans que le batteur ne parvienne à la détourner. La seconde possibilité est que l’un des membres de l’équipe attrape la balle détournée par le batteur avant qu’elle ne touche le sol. La troisième est de rapatrier la balle attrapée par l’un des joueurs répartis sur le terrain, par des passes d’un joueur à l’autre, et de toucher le wicket avant que les batteurs ne finissent l’un de leurs runs. Les batteurs doivent donc calculer leurs risques entre marquer plus de points et se faire éliminer.

C’est pourquoi ils préfèreront parfois ne pas taper une balle qui n’a aucune chance de toucher le wicket ou ne pas courir vers l’autre wicket si la balle n’est pas partie très loin. Lorsqu’un batteur est éliminé, il sort et laisse sa place au batteur suivant, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus ; ce qui marque la fin de la manche et un échange des rôles entre les deux équipes.

… mais n’oublions pas qu’il y a 150 pages de règles et que l’esprit du cricket compte presque autant que la règle elle-même ! Ainsi, un lanceur qui ratera son lancer aura le droit de le refaire une fois mais offrira un point à l’équipe adverse (un « extra »). Nous avons aussi pu observer un exemple de l’application de l’esprit de la règle : lorsque la balle, après avoir rebondi, touche les jambes du batteur au lieu du wicket, le batteur est éliminé. Si le batteur n’avait pas été placé devant le wicket, la balle aurait touché le Saint Graal !

Et le gagnant !

Les points sont comptabilisés par batteur et additionnés en faveur de leur équipe. Les extras ne sont pas affectés à un joueur mais bénéficient quand même à l’équipe. Les statistiques individuelles des lanceurs comptabilisent leur nombre d’overs, le nombre de points qu’ils ont permis à l’équipe adverse de marquer par leurs lancers et le nombre de batteurs qu’ils ont éliminé avec leur lancer…

Mais tous ces chiffres affichés ne sont que poudre aux yeux pour complexifier l’apparence du jeu. Seuls les points des batteurs comptent pour le match et l’équipe qui marque le plus de points pendant les deux manches où elle a la batte gagne la partie ; partie qui peut s’arrêter avant la fin (elle a généralement duré plus de 3 jours !) si l’équipe qui défend pendant la 4ème manche a totalisé suffisamment de points pour gagner. Dans ce dernier cas, l’équipe gagne par un certain nombre de wickets, c’est-à-dire, un nombre de batteurs restant en jeu.
Fiat lux !

Le Lord’s Cricket Ground et son propriétaire le Marylebone Cricket Club

Thomas Lord a créé 3 terrains successifs. Le premier était situé près de la station de Marylebone, dont le club a conservé le nom même s’il est maintenant à St John’s Wood. Le second n’a été utilisé que 3 ans avant que le terrain soit réquisitionné pour creuser le Regent’s Canal. Le 3ème a été créé en 1814.
Une des particularités du terrain du Lord’s est un dénivelé de près de 2 mètres entre le côté gauche et le côté droit. D’après nos guides, cela ne change absolument rien au jeu, mais c’est une bonne excuse pour les mauvais joueurs. Le gazon, totalement naturel, est replanté tous les hivers.
Le MCC développe et maintient le terrain de cricket du Lord’s. Depuis 1788, il est aussi le gardien des « Laws of Cricket », et à ce titre responsable de toute évolution des règles du cricket.
C’est un club de 23 000 membres maximum. Il faut compter environ 29 années d’attente et remplir un certain nombre de critères pour intégrer le club et, contrairement au club de cricket de Melbourne, il n’est pas possible d’inscrire les enfants à leur naissance. L’âge minimum pour postuler est 16 ans. Il y a peu de moyens de raccourcir le délai d’adhésion : être ou avoir été 1er ministre, avoir joué pour le club pendant au moins 3 ans… ou faire une donation de 2,5 M£ pour construire une nouvelle tribune !

Ceci dit, comme peu d’entre nous peuvent prétendre à la voie rapide, il ne faut pas tarder à postuler si l’on veut prétendre à l’avantage de pouvoir réserver son siège. En effet, pour bénéficier de cet insigne honneur, il faut être âgé de plus de 75 ans et être membre depuis plus de 35 ans. Faites le calcul, il faut se dépêcher ! J’ai beau recompter, je me dis que seuls ceux qui ont bénéficié d’un circuit d’adhésion court peuvent avoir une chance de réserver une place assise entre 75 et 80 ans.

La petite histoire humoristique et romantique des « Ashes »

L’un des trésors les plus précieux du musée du Lord’s est une urne en terre-cuite de 4 cm de hauteur. L’histoire commence en 1882 lors d’un test-match lorsque les Australiens battent les Anglais pour la 1ère fois sur leur propre terrain. C’est une catastrophe nationale !
Le lendemain, le Sporting Times publie une chronique nécrologique annonçant la mort du Cricket anglais, dont le corps sera incinéré et les cendres envoyées en Australie. A l’époque, la crémation fait l’objet d’un débat national.
Lorsque les Australiens organisent les séries suivantes, les Anglais partent bien décidés à regagner les cendres… du cricket anglais, c’est à dire leur honneur. De nombreuses réceptions s’organisent en Australie autour de l’équipe anglaise. Celle-ci joue notamment un match contre le personnel du domaine de Lord Clarke, le président du club de cricket de Melbourne. Le match est suivi d’un dîner à l’occasion duquel Lady Clarke présente, comme une bonne blague, les cendres au capitaine de l’équipe anglaise, annonçant que c’étaient celles pour lesquelles il avait fait tant de chemin. A vrai dire, elle était montée rapidement dans sa chambre, avait fait brûler quelque chose et avait versé les cendres dans une petite urne à parfum. Les tests-matchs commencent peu après et l’Angleterre gagne les séries. Lady Clarke rend donc les ashes à Ivo Bligh, le capitaine anglais.

Là où l’histoire devient romantique, c’est que le capitaine anglais a rencontré celle qui deviendra sa femme à l’occasion du match et du dîner chez les Clarke. Il s’agit de leur gouvernante !
Ainsi commence l’histoire des Ashes, trophée mythique d’une série de 5 test-matchs qui se déroulent tous les deux ans entre l’Angleterre et l’Australie.